Gargarismes

Numéro 1 - Aperçu de vies de migrant.e.s face à l'administration française

    Murs et dédales

    Ça fait plusieurs semaines qu'on travaille sur cet article. On a recueilli des témoignages, posé des questions, fait des recherches sur internet. Nous ne sommes pas « objectives », et avons déjà une petite idée de comment se passent les choses, mais on fait un petit travail d'enquête et on vérifie nos infos. On trouve toujours ça terriblement compliqué, on a l'impression en essayant d'ordonner nos idées, de faire des piles qui finissent par tomber les unes après les autres. Alors peut-être que toi qui nous lis, tu vas trouver ça un peu confus parfois. On voudrait te dire que cette confusion elle est ressentie par les migrant.e.s. La législation les concernant change chaque année, on les balade sans cesse d'un organisme à un autre et souvent, il y a un écart très grand entre ce qui est écrit dans les textes et ce qui se fait réellement, notamment dans les administrations. Ça serait difficile à vivre pour tout le monde, mais la plupart du temps ces difficultés sont couplées à des problèmes de logement, un accès limité au travail et à des revenus stables ; des difficultés partagées par un grand nombre de chômeurs et précaires, minimas sociaux en moins1.

Contrairement à ce qui est dit à voix basse, et de plus en plus à voix haute, les étranger.e.s ne sont pas responsables de notre misère. Mais c'est bien le résultat des politiques migratoires actuelles de jouer à la concurrence de la misère entre français.e.s et étranger.e.s, en transformant ces dernier.e.s en sans-papiers. Peu importe qu'ils aient été étudiant.e.s, travailleur.se.s, demandeur.se.s d'asile, ou « mineur.e.s isolé.e.s » : un jour l'état français, qui a créé ces cases pour faire de belles piles, décide juste de les faire tomber.

    User les migrant.e.s, une continuité politique

Réorganisation de la préfecture : « Une réponse appropriée »2

Plusieurs heures passées à la préfecture permettent de le constater : contrairement à ce qui est annoncé dans les communiqués de la préfecture, on ne peut pas dire que la nouvelle organisation « améliore l'efficacité, la performance et la qualité de l'accueil3 ». Dès le matin, les files s'étirent devant le bâtiment, souvent sous la pluie. Puis le « service de l'intégration, de l'immigration et de la nationalité » ouvre de 13h30 à 15h30 les lundis, mardi et jeudi pour les premières demandes de titre de séjour ou de changement de statut, et les traitements de « demandes rapides4 ». Et si, comme ce couple, on s'y présente pour un renouvellement de titre de séjour ? Et bien on a attendu trois heures pour rien, car il faut impérativement faire cette demande sur internet. Car selon les administrations il est évident que l'accès à internet n'est qu'une question de bonne volonté ! D'autres créneaux sont prévus pour les dépôts de première demande et demande de renouvellement de titre de séjour, uniquement sur rendez-vous, et pour les remises de titre de séjours, sur convocation. Mais s'il est impossible à une personne de se présenter à la date prévue ? Par exemple, cet étudiant ayant fourni un certificat justifiant qu'il ne pouvait pas être présent à son rendez-vous le 11 décembre pour cause d'examen, s'est vu re-proposer un rendez-vous plus d'un mois après. Il a lui aussi fait la queue plusieurs heures pour s'entendre dire que ce rendez-vous ne pouvait être avancé. Situation d'autant plus compliquée que depuis janvier 2013, « tout titre de séjour renouvelé après la date de fin de validité du titre précédent se verra appliquer une pénalité de 180 euros ». Et puis, ces exemples de personnes devenues « sans-papiers » d'un claquement de doigt administratif ; cette femme qui vient au guichet d'accueil pour rapporter le certificat de scolarité de sa fille qui manquait dans les pièces justificatives pour le dépôt de son dossier. Elle repart bredouille et en pleurs après s'être faite sermonner par la guichetière. Car la liste des pièces justificatives ne cesse de changer et de s'allonger, et les délais de rendez-vous sont environ de deux mois. Il y a cette autre femme qui patiente dans la file pour demander des nouvelles de son dossier. C'est la seconde fois qu'elle dépose un dossier de premier titre de séjour et qu'elle ne reçoit aucune réponse. La première fois, elle a attendu un an. Cette fois-ci, quatre mois. Cela signifie peut être un refus implicite, pour lequel l'administration n'a pas à se justifier. Doit-elle refaire encore une fois la demande ?
Des attaques répétées aux droits
La situation est celle d'une entrave permanente aux droits des migrant.e.s, que ce soit dans le traitement de leur dossier par les administrations, mais aussi dans la chasse dont ils font l'objet. A titre d'exemple, à Rennes, des contrôles d'identité ciblés ont lieu autour des associations caritatives, dissuadant les personnes sans titre de séjour de réceptionner leur courrier et colis alimentaires. En effet, le procureur « réquisitionne » ces zones, où toute personne peut être contrôlée sans raison particulière (normalement, il faut que le comportement « suspect » de la personne justifie ce contrôle). Une circulaire de 2009, reconnaissant ces pratiques, avait pourtant proscrit les contrôles près des associations, et le juge des libertés de Rennes l'avait sanctionné en 2010. Les attaques répétées à l'encontre des associations et collectifs soutenant les migrant.e.s constituent aussi cette entrave. Des associatifs sont convoqués devant la justice sans nécessairement être poursuivis, il s'agit plutôt de les intimider. Pour l'année 2013, ça a été le cas pour une personne du MRAP6, une de la Ligue des Droits de l'Homme, une du Conseil des Migrants. Une délégation de collectifs et d'associations a été arrêtée lors d'une occupation pacifique de la préfecture le 25 février 2013. Les personnes soutenant les migrant.e.s dans leurs démarches doivent présenter leur carte d'identité dans cette même préfecture. Celle-là même qui s'acharne au tribunal administratif : lors d'appels de jugements favorables à l’obtention d’un titre de séjour  ou encore en demandant de condamner la Cimade pour recours abusif7. Pourtant, ce recours était sans fondement car la Cimade, association présente dans les centres de rétention, était simplement dans son rôle d'accompagnement lorsqu'elle a aidé une personne à présenter un recours contre son placement. Mais même lorsqu'il n'y a pas de suite, tous ces actes usent les migrant.e.s et leurs soutiens, et visent à leur faire abandonner leur combat juridique.
Un air de déjà vu
A St Jacques-de-La-Lande, le Centre de Rétention est un lieu où on enferme toujours des hommes et des femmes, et parfois des enfants. La Cimade permet l'accès aux droits des migrant.e.s et les collectifs et associations vont régulièrement rendre visite aux détenu.e.s ou faire des « parloirs sauvages », (ce sont des discussions à travers les grilles). Cependant, depuis la présidence de Hollande, ce lieu d'enfermement n'a pas changé : loin de la ville de Rennes, une réalité acceptable dès lors qu'elle reste invisible. Pour l'année 2013, c'est presque 700 personnes qui y ont été enfermées8. Par ailleurs, la circulaire de juillet 2012 limitant le placement des familles en rétention, n'a pas été totalement appliquée, mais lorsqu'elle l'est, a aussi des effets pervers, comme l'augmentation de l'enfermement d'un parent sans le reste de sa famille ou l'assignation à résidence, qui limite l'accès aux associations.
Peu importe l'ampleur de la désinformation. Dédale administratif, atteinte aux droits et enfermement : pas besoin du bilan de Valls, depuis des années, c'est comme ça qu'on traite les personnes migrantes en France. Où est cette vie de rêve des étranger.es ? Qui est responsable de notre misère ? Non, à Rennes non plus, ce ne sont pas ceux qu'on nous montre du doigt, il faudra chercher ailleurs...
Marianne

    Le parcours du combattant du demandeur d'asile

    La demande d’asile et le CADA : une illusoire sécurité
C’est le cas de le dire, un migrant qui arrive en France n’a guère le temps de respirer et de se remettre des émotions liées à son périple. Jugez plutôt : s’il demande l’asile, un parcours administratif long et fastidieux s’entame.
Pour obtenir un formulaire de demande d’asile et une autorisation provisoire de séjour, il se doit d’être domicilié quelque part, afin d’y recevoir son courrier. A Rennes c'est Coallia agréée par la préfecture qui assure cet accueil. Il faut savoir que cette domiciliation peut prendre du temps.
Le jour de la domiciliation, un rendez-vous est organisé auprès de la préfecture. Jusqu’à présent, il avait généralement lieu deux semaines après ; aujourd’hui, ça peut aller jusqu’à 4 semaines d’attente ! Le jour du rendez-vous, la préfecture relève les empreintes du migrant, et vérifie via le fichier européen, « Eurodac », s’il est passé par un autre pays, avant d’arriver en France. Si c’est le cas, il est considéré comme « dubliné ». La Préfecture demande alors à ce pays d’assurer sa demande d’asile. La réponse arrive généralement dans les deux mois. Durant ce laps de temps, le migrant n’a pas le droit d’effectuer une demande d’asile en France. En revanche, si le pays en question ne donne pas suite dans les 6 mois qui suivent la requête, la France est alors obligée d’accueillir le migrant. Signalons également que les personnes arrivées directement en France, sont classées dans deux catégories. Si elles proviennent d’un pays qualifié de « sûr », elles entrent dans une « procédure prioritaire » qui vise à les faire rapidement rentrer chez eux9… Les autres, en provenance de pays non sûrs, peuvent déposer une demande d’asile auprès de l’OFPRA. Les refus sont nombreux : près de 90% des dossiers, et après un recours possible à la CNDA*, seuls 20% de migrants voient leur demande finalement acceptée.
Durant le temps de procédure devant l’OFPRA et le CNDA, les demandeurs d’asile peuvent être logés dans des CADA. Présents à l’échelle nationale, au sein de chaque département, ils sont souvent gérés par des entreprises privées ou de grosses associations, telles Coallia, à Rennes, au détriment d’associations plus petites et locales. Outre l’hébergement, les CADA proposent également aux migrants un accompagnement administratif dans la réalisation du dossier de demande d’asile, un accompagnement social et médical.
Quand sont placés des bâtons dans les roues…
Le temps d’attente des décisions formulées par l’OFPRA concernant la demande d’asile, a diminué, passant de 3 ans à un an et demi, en moyenne. Ce qui peut apparaître dans un premier temps comme un changement positif pour les personnes migrantes s’avère en fait une vraie difficulté pour les travailleurs sociaux.
En effet, la masse de boulot s’accumule sans évidemment que le nombre de salariés augmente également. La liste des documents demandés s’allonge mais aussi parce que ces mêmes documents, notamment les actes d’état-civil, doivent être traduits, à la demande de la préfecture par des traducteurs assermentés (par définition plus chers qu’un traducteur ordinaire : 10 euros de différence environ). Ce qui coûte cher pour les familles, comme pour les CADA dont les budgets baissent (notamment ceux qui sont alloués à l’interprétariat et à la traduction, une part majeure donc du boulot des CADA…)
Pour la première fois, en 2013, a été instauré un quota dans l’aide allouée à la traduction pour les CADA d’Ille-et-Vilaine : 100 euros par famille. Du coup, les heures d’interprétariat sont limitées à 5h (2h pour les dossiers liés à l’OFPRA, 3h pour les recours au CNDA). Ce qui est à la fois court (quand il s’agit d’établir des récits de vie, 2h, c’est largement insuffisant) et cher (les familles, préfèrent – et on le comprend - recourir, à un traducteur professionnel plutôt qu’à un proche ou voisin – quand il s’agit d’évoquer leur histoire personnelle).
D’autre part, pour ce qui est de l’Ille-et-Vilaine, certains travailleurs des CADA observent une nette dégradation de leur rapport avec la Préfecture depuis l’arrivée du Secrétaire Général Fleutiaux, jugé « excécrable ».
Enfin, rappelons que les personnes demandeuses d’asile n’ont pas le droit de travailler ni de percevoir les aides de la CAF. Leur seule ressource est une Allocation Temporaire d’Attente (ATA) de 330 euros par mois, versée par Pôle Emploi10, à partir du moment où leur dossier est enregistré par l’OFPRA, jusqu’au rendu de la décision. S’ils sont pris en charge par un CADA, celui-ci leur verse l’AMS, une allocation de subsistance, calculée en fonction de la composition familiale11 et ils ne perçoivent plus l’ATA. Donc, non, les migrants ne viennent pas piquer nos sous ni nos boulots….
Déboutés ou non, des demandeurs d'asile à la rue
La répartition des familles au sein des CADA est effectuée conjointement par l’Etat12 et les départements13 via un logiciel informatique de l’OFFII14. Ce logiciel répertorie les places vacantes et occupées de chaque CADA présent sur le territoire, ainsi que les personnes en attente d’hébergement au sein d’un CADA. Sont prioritaires les migrants qui sont arrivés dans le département concerné et correspondant. Mais il peut arriver que des personnes, initialement débarquées dans un département donné soit transférées dans un CADA d’un autre département, faute de place. Selon les travailleurs sociaux, il semblerait que ce logiciel ait été mis en place pour éviter une attente trop longue à un maximum de migrants, et peu de refus seraient émis par les CADA. Pour certains associatifs reprenant l'analyse d'E. d'Halluin dans Les épreuves de l'asile, on peut le voir autrement. A la suite de mobilisations, l'Etat a augmenté les budgets, demandant un contrôle plus strict dans les centres d'hébergement concernés. La nouvelle politique met à la porte les déboutés du droit d'asile, faisant ainsi diminuer mécaniquement les chiffres de refus de CADA aux demandeurs d'asile.
A l’échelle nationale, seuls 15% de demandeurs d’asile sont réellement hébergés, les 75% restants étant à la rue ou dans des logements précaires. La difficulté de trouver des chiffres en Ille-et-Vilaine empêche de dresser un état des lieux précis de l'hébergement des demandeurs d'asile. Peu sont en CADA, certains en hôtels ou gîtes ruraux, qui coûtent cher à l'Etat tout en posant des difficultés supplémentaires. Comment cuisiner dans une chambre d'hôtel ? Comment scolariser ses enfants quand on a un hébergement temporaire ? Par ailleurs, beaucoup de déboutés du droit d'asile sont à la rue, dépendants de l'hébergement d'urgence du 115, complètement saturé.
En conclusion, on peut dire que bien des choses ne tournent pas rond dans l’univers des migrants et des demandeurs d’asile, en Ille-et-Vilaine, à l’image de la politique nationale actuelle. Au lieu d’agir sur les causes de ces migrations (rappelons que la France garde, à l’égard de certains pays, un esprit farouchement colonialiste, en pillant leurs ressources premières), on préfère s’en prendre aux gens, en leur demandant toujours plus et en tailladant largement le principe de dignité.
Marie

CADA : Centre d'accueil de demandeurs d'asile
OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides
CNDA : Cour nationale du droit d'asile

1. Les étranger.e.s hors union européenne n'ont accès au RSA que s'ils sont en possession d'un titre de séjour et d'une carte de travail depuis au moins cinq ans.

2.Communiqué de la préfecture du 17/12/13 : les réformes visent à «_ respecter la dignité des migrants, à préserver leurs droits, et à apporter dans des délais raisonnables, une réponse appropriée à chaque situation (...) »

3. Ouest France du 14 novembre 2013

4. Renouvellement de récépissé (dans les 5 jours avant la fin de validité), duplicata si perte, vol, changement d'adresse, document de circulation pour étrangers mineurs

5. Voir Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l'immigration, Alexis Spire
6. MRAP : mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples
7. Voir le communiqué : http://www.lacimade.org/regions/bretagne-pays-de-loire/nouvelles/4712-La-pr-fecture-d-Ille-et-Vilaine-menace-l-Etat-de-Droit
8. Le centre a une capacité de 58 places
9. Cette liste révisable comprend 18 Etats : Albanie, Arménie, Bénin, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Géorgie, Ghana, Inde, Kosovo, Macédoine (ARYM), Maurice, Moldavie, Mongolie, Monténégro, Sénégal, Serbie, Tanzanie, Ukraine. C'est la plus longue des 11 pays d’Europe qui en affichent une, après celle du Royaume-Uni !
10. Paradoxalement cette allocation est versée par Pôle Emploi alors que les migrants n’ont pas le droit de s’inscrire comme demandeur d’emploi !
11. Soit 202€ pour une personne seule, 311€ pour deux personnes, 384€ pour 3 personnes.
12. Direction Nationale d’Accompagnement (DNA)
13. Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations (DDCSPP)
14. Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (rattaché au Ministère de l’Intérieur)


    Témoignage - « L'entretien va-t-il bien se passer ? »

Patrick nous raconte son arrivée en France il y a 4 ans. Un témoignage en plusieurs épisodes, dont voici le premier.

J'ai été persécuté dans mon pays. En arrivant en France, j'ai été recueilli par de la famille qui m'a orienté vers la plate-forme des demandeurs d'asile (PADA) : j'ai fait ma demande.

Le premier couac c'est de trouver un logement ! La PADA t'oriente sur le 115 mais y a des personnes prioritaires : les femmes, les enfants, les handicapés... Pour la première fois, c'était Saint-Malo : encore une autre ville que tu connais pas... Pour 3 jours. Réveil à 7h du matin, puis tu dois sortir… Le p'tit déj' ? J'le prenais pas, car on te d'mande : « Pourquoi t'es là ? Pourquoi t'es pas resté au pays ? »

Très vite, j'comprends que la vie des migrants n'est pas du tout facile : il faut se justifier vis à vis des gens ; comme en covoiturage ! Des fois ça s'sent qu'ils pensent « en voilà un qui vient voler l'pain des français » [...] Mais ici, sans carte d'identité, tu peux rien faire ! Y'a pas moyen d'travailler ! [...] J'peux pas leur reprocher ça, c'est une forme de sécurité. Mais en v‘nant en France, j'ai pas eu l'choix. Les gens croient qu’on fait la d'mande pour toucher les allocs ; si j’avais l’choix d’avoir juste les papiers sans les allocs, j’hésit’rais pas une seconde !

Alors tous les 3 jours, j’ai été à Saint-Malo, Vitré, Redon… Mais y a pas de place. Et puis tu veux prendre pied quelque part et on t'envoie toujours ailleurs… J'ai compris qu'on n'avait pas d'CADA ; et qu’il me fallait un endroit stable pour défendre mon dossier sereinement. J’étais en lien avec les assos et les collectifs de Rennes, et là j'ai eu un logement.

À c’moment là, j'devais retranscrire c'que j'avais vécu sur papier. C'est difficile même si j'parle français, car tu dois faire comprendre aux gens avec la façon de penser d'ici... Mais d’abord, on croit que les choses vont s'arranger, qu'on va être accueilli car c’est le pays des droits de l'homme quand même ! […] Sauf qu'il faut montrer patte blanche ! C'est pas « liberté – égalité – fraternité », mais plutôt « contrôle d'identité » ! [rire !]

Et puis on se sent déstabilisé car partout où on t'envoie, il y a d'la précarité... Les compatriotes n’aiment pas héberger alors on est domicilié à la Croix Rouge. Là-bas, il n'y a pas d'accès au courrier quand tu veux, et si tu viens pas pendant trois semaines, après c'est terminé. Aussi, on s'fait souvent réprimander. D’ailleurs la domiciliation, c’est une manière de contrôler les migrants ! On n’peut même pas donner une procuration à un ami !

L'attente de la convocation à l'OFPRA a duré 8 mois… Tu sais pas quand ni comment. Est ce que tu seras sous un bon jour ? Est c'que l'officier va être correcte ? La peur… Le jour J, j'étais stressé, mais j’ai été à l'entretien avec tout l'espoir.
J'avais entretien à 15h30 à Paris. Là, c'est bien organisé, on a un ticket de train, un plan.

J'suis arrivé en avance pour prendre mes marques, ne pas être perdu... Le jour J, il y avait beaucoup de gens... Tu te regardes avec les autres...

J'suis croyant alors j'ai fait une p'tite prière.

Là, il faut trouver les mots justes… Et il doit y avoir « concordance » orale avec l'écrit. Il y a des questions pour savoir si tu viens bien du bon pays ! Pour moi peu importe ce que disent les gens, c'est pour sauver sa peau ! [...] J'suis passé pendant 1h40 ! Au départ, j'avais du mal car la personne me prenait de haut. Mais j'ai eu l'impression qu'elle était à l'écoute. Elle avait une cinquantaine d'années. D'habitude ça dure 30 ou 20 minutes, ici 1h40 ! Elle a pris l'temps. Pendant, c'est difficile de retranscrire c'que tu as vécu à l'oral, car y'a plein d'questions qui viennent. Est-c'qu'elle y croit vraiment ? Tu te demandes toujours ce qu'elle pense, tu sais pas si elle est sincère ; à quel point tu dis ce que t'as vécu ou pas... La peur qu'elle soit là pour te couler. Est-ce que tu corresponds aux critères ? A la fin, tu es acculé de questions ! Tu dis des choses, mais tu sais jamais comment tes dires seront interprétés...

Finalement, j'suis pas sorti du cadre de mon récit : ça s'est très bien passé ! Tu as fait ta part, ton sort ne dépend plus de toi mais de l'officier : « adviendra que pourra » ; j'en suis sorti confiant. C'est un pays de droits. On m'a écouté, ce qu'on n'connait pas chez nous, dans nos pays africains.

Là, l’attente recommence. En attendant, j’ai passé du temps dans le monde associatif, à essayer de comprendre comment les gens vivent, de comprendre les mentalités, essayer d'être utile malgré l'interdiction de travailler...

Et si c'est non, qu'est c'que j'fais ? J'ai le droit à un recours. Le plus important, c'était de réussir à continuer à vivre, de trouver une raison de croire à la vie... Quand le rejet est arrivé, j'étais complètement perdu...

J'ai vu ma mère qui est irlandaise (d'origine africaine) ; elle est partie y a une dizaine d'années et a connu ce parcours. Elle a des séquelles... Tu perds forcément quelque chose. Par exemple, j'suis différent d'il y a 4 ans ; j'étais un peu naïf. C'est compliqué, ça te change forcément… Si t'es pas fort, tu peux sombrer en dépression. A chaque fois que tu veux sombrer, tu te dis que tu sais d'où tu viens et que tu ne peux qu'apporter un plus ; tu connais les raisons de pourquoi t'es là ! (la répression dans nos pays !)

Aussi, s'en sortir se résume pas qu'aux papiers ; c'est aussi les échanges avec les gens au quotidien. Quand on est régularisé, c'est pas pour autant qu'on change ! On entend qu'on « n'apporte que des problèmes », c'est complètement faux ! D’ailleurs, ça allège certains problèmes mais y en a d'autres qui t'attendent, comme trouver un travail ; car les personnes sont jugées par rapport à leur travail, c'est important en Occident : « Qu'est c'que tu nous apportes ? ». Pourtant tous les jours, tu apportes beaucoup...

Au bout d'encore 8 mois, la réponse était donc négative : mes propos n'étaient pas assez « spécifiques » ! […] Tout d’suite, il faut faire le recours, introduire le dossier, avoir un entretien avec une avocate. J'étais totalement bouleversé… le choc !

(à suivre...)