Gargarismes

Numéro 4

Le journal en PDF

Sommaire

A la rue
Accessibilité
Le viol au tribunal
ViaSilva 2040
Rennes Brûle
Zyed et Bouna
Coupes sociales
Retour sur Charlie
Chasse aux migrant.e.s

Édito

Il s'est passé six mois depuis le numéro 3. Six mois pour vérifier que les morts n'ont pas toutes la même importance. On peut mourir violemment pour des idées, des dessins, parce qu'on est différent.e.s, ou étranger.e.s, etc. C'est regrettable à chaque fois. Mais la perte de centaines d'inconnu.e.s ne fait pas l'effet de quelques célébrités. Des migrant.e.s continuent de périr à vouloir rejoindre nos côtes et l'Europe, les mains rouges, fait mine de s'en indigner. Alors qu'on imprimait le #3, en octobre dernier, Rémi Fraisse succombait d'une grenade policière. Certain.e.s ont cru que la colère du peuple se réveillerait, comme celle qui avait enflammé les banlieues suite au décès de Zyed et Bouna, poursuivis en 2005 par des policiers qui – mieux vaut tard que jamais – passent devant la justice dix ans après.


Six mois pour vérifier, si besoin, qu'il n'y a rien à attendre de bien du gouvernement, au niveau national comme au niveau local. L' « union nationale » de mi-janvier a fait oublier, pour un temps, la rengaine des coupes budgétaires et lois sécuritaires. Dans ce contexte il nous paraît toujours nécessaire de faire la critique du système politique dans lequel s'enracinent les inégalités, la haine et le rejet de l'autre. C'est bien cette logique qui pousse alors certain.e.s croyant.e.s à se réfugier dans des dogmes qui deviennent dangereux quand ils sont politiques. Et c'est cette même logique que nous voulons dénoncer ici dans sa manière de s'emparer de, en les détournant, la laïcité et la liberté d'expression.

Laïcité, quand tu nous tiens

Beaucoup sont descendu.e.s dans les rues sincèrement le 11 janvier. Mais instrumentalisée, la laïcité est doublement détournée du principe de séparation entre l'Église et l'État de 1905. Aujourd'hui la question porte sur l'individu et la frontière entre l'espace public et la vie privée. Sous couvert de liberté chacun.e peut bien faire ce que bon lui semble tant que c'est fait chez soi. Affirmer sa croyance ou son appartenance à un culte en public pose problème à certain.e.s. Et c'est par cette première dérive qu'on bascule dans la seconde : la volonté originelle de tolérance et de respect d'Autrui se change en prétexte à la peur et au rejet de l'Autre.


Nous craignons le fantasme de laïcité quand il s'associe à l'identité, l'unité nationale, l'esprit républicain dont sont si fiers nos dirigeant.e.s. Ce dogme institutionnel dominant opprime des communautés en raison de leurs divergences de croyance, d'idée, de modes de vie. Qui dirait qu'une personne noire musulmane est vraiment l'égale d'une athée blanche en France ?


Il se joue plus que la liberté de conscience. Il est un combat entre des manières de dire, faire, penser, vivre. S'affrontent des cultes mais surtout des cultures différentes. C'est pourtant bien un dogme sans dieu, sans prophète que la majorité occidentale athée affiche en public comme universalisme neutre. Le capitalisme (pour faire court) est le nouvel opium du peuple, et quand on voit ses effets, nous n'hésitons pas à penser que c'est le pire des dogmes.


Pouvoir et satire

On a beaucoup entendu parler de liberté d'expression, comme quelque chose d'acquis et d'intouchable. En tant que média, il nous est impossible de ne pas critiquer le faux consensus « national » qui s'est construit autour d'une défense opportune de la liberté d'expression, et d'un journal supposé la symboliser : Charlie-Hebdo.
Sans égalité, peut-on vraiment parler de « liberté » d'expression ? Celles et ceux qui s'expriment librement sont d'abord les puissant.e.s, mais aussi les catégories dominantes et privilégiées de la population – autrement dit, ce sont celles et ceux qui ont un accès facile aux médias ou qui y sont largement représenté.e.s1. Comme les hommes, blancs, athées que regroupait Charlie-Hebdo.

Mais le journal se veut « satirique de gauche ». Ah ! De quoi s'attendre à ce qu'ils visent le pouvoir : les politiques et leurs partis, les grandes structures, les idées dominantes... Alors quel sens donner à leur choix de cibler « équitablement » le catholicisme, l'islam et le judaïsme ? Si Charlie est resté « impertinent » sur quelques sujets, il n'y a rien de subversif ni de « libertaire » à se mettre à quelques mecs blancs dans un bureau parisien pour provoquer inlassablement des personnes et leurs croyances déjà très stigmatisées par ailleurs. A se prétendre drôle et neutre en tapant pareil sur tout le monde, le journal a soutenu et alimenté le statu quo ambiant – avec tout le racisme qu'il comporte2.


On pense, nous aussi, que la liberté d'expression doit être défendue : la liberté de critiquer l'ordre établi, mais surtout la liberté d'accès aux médias pour que chacun.e puisse exprimer ses idées. Défendre Charlie c'est défendre une vision tronquée – car capitaliste et colonialiste – de la liberté d'expression.

« Eux », les méchants

Un événement de cette ampleur suscite évidemment des réactions en chaîne dans la presse et les médias. Réactions pour le moins parcellaires et ciblées. Très manichéennes également. Ainsi, ils se sont rendus d'abord sur place, pour compter les morts. Ont été annoncées en premier celles qui concernaient les « grands » dessinateurs. Les autres, simples employés, d'origine maghrébine ou femmes, donc peu intéressant-e-s, n'ont été divulguées qu'en toute fin de journée, lorsque chacun-e tentait de s'endormir (sur ses deux oreilles). Ce fut ensuite le déchaînement total les jours suivants, avec un point d'orgue : la manifestation du 11 janvier. On a vu une glorification des valeureux français républicains et laïques contre les méchants terroristes musulmans. C’était « eux » contre « nous » (ou plutôt l’inverse, précisément !) Comme il fallait s’y attendre, les amalgames ont fleuri un peu partout : le musulman de base était sommé de condamner publiquement ces assassinats, sinon d’office assimilé à un terroriste en puissance. Curieusement, on n’a jamais demandé à des cathos de s’exprimer lorsque des intégristes de leur rang couraient les manifs contre le mariage pour tous. Il y a deux poids deux mesures dans notre beau pays « républicain et laïque ». Très peu de médias3 se sont véritablement penchés sur ce qui a bien pu pousser ces jeunes à s’exprimer par les armes. Très peu ont mis en doute la parole parfois tendancieuse d’un Charlie, les actions gouvernementales qui stigmatisent constamment ces derniers et les médias qui relaient ces propos : « Bouh, ils ne cherchent pas à s’intégrer dans notre belle société ! » Ce sont « eux » les méchants, jamais « nous ».

*

Il nous semble indispensable de continuer à démonter le « consensus » qu'on voudrait nous imposer, tant il va à l'encontre des libertés individuelles et étouffe une réelle réflexion. Ecrit à plusieurs mains, rapiécé et condensé, ce texte est une modeste contribution au concert de nombreuses voix qui vont dans ce sens.

Trois membres de l'équipe Gargarismes


1. Sur les médias, voir par exemple La fabrique du consentement de N. Chomsky, et Sur la télévision de P. Bourdieu.

2. Le sexisme n'est pas en reste… Voir par exemple : http://lmsi.net/JeSuisMisogyne

3. Hormis quelques tribunes discordantes dans les « grands » médias (Le Monde, notamment), c'est sur les sites et blogs d'information alternative qu'on peut vraiment sortir du « consensus ». Parmi eux : lmsi.net, quartierslibres.wordpress.com, bouamamas.wordpress.com, paris-luttes.info, article11.info...


Gargarismes
gargamail (@) riseup.net

On a un site tout neuf bricolé et hébergé par des copains,
c'est ici : gargarismes.org

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Les textes et illustrations, même non signés, n'engagent que la responsabilité de leurs auteur.e.s.

La mise en page est bidouillée avec Gimp et Scribus.

Le coloriage est barbouillé chez IPO, à Bruz.

Directeur de la publication : Marc Énervé
Tirage : 800 exemplaires
Prochain n° : pour l'automne !