Gargarismes

Numéro 1 - Chantage aux papiers

PS, parquet, préfecture : solidaires dans la galère !

En juillet dernier le Mensuel de Rennes nous apprenait qu'en préfecture d'Ille-et-Vilaine, un haut fonctionnaire a « échangé » pendant plusieurs années des titres de séjour contre des « faveurs sexuelles » à des femmes africaines. On a mené un bout d'enquête de notre côté – oh ! Pas grand chose, juste de quoi se faire une idée. Retour sur cette histoire sordide, avec des petites pincettes et des gros mots.

Les petites pincettes pour être honnête : nous ne sommes pas en contact direct avec les victimes. Nous n'avons pas de photo compromettante non plus. Nous avons simplement une autre analyse des faits et une farouche envie d'y mettre les bons mots – des gros mots : harcèlement, prostitution, viol. L'ambiance est lourde, tout à coup.

Petit rappel des faits. Début 2012, les services de la ville de Rennes recueillent un témoignage particulièrement gênant. Ni une ni deux, nos « représentants » municipaux choisissent d'aller discuter avec la préfecture – pas trop fort, surtout : il ne faudrait pas que la justice s'en mêle. L'inspection générale de l'administration (IGA) est tout de même prévenue et sort en juin 2012 un rapport d'enquête administrative mentionnant des relations sexuelles1. Mais une fois le dossier en main, le vaillant procureur décide de ne pas aller plus loin. Le bonhomme incriminé est remercié et s'envole avec ses dossiers de régularisations frauduleuses sous le bras. Dans la foulée, on demande sa mise sous curatelle, pendant que le secrétaire général de la préfecture de l'époque, François Hamet, est poliment rangé dans un placard de Matignon. Quant à Gilles Suignard, directeur général des services de la ville, et l'adjointe couvrant le dossier – qui n'est autre que Nathalie Appéré – ils dorment sur leurs deux oreilles.

« Il y a de quoi écrire un livre ! »

Pas besoin d'un dessin pour imaginer la pièce politique qui s'est jouée : élus municipaux et fonctionnaires préfectoraux se protégeant entre eux, sous la coupe bienveillante du procureur. Le Mensuel de Rennes avait commenté l'affaire sous cet angle, avec raison. Cette histoire se décortique pourtant en deux morceaux supplémentaires : l'atteinte aux droits et à la dignité des femmes, et en particulier à celle des migrantes.

D'un côté, un homme blanc plutôt aisé représentant l’État, capable de délivrer des autorisations de séjourner en France. De l'autre, des femmes d'Afrique noire souvent sans revenus, venues chercher comme tant d'autres leur titre de séjour... Qui croit sérieusement qu'un Cupidon, même surdoué, puisse y faire quelque chose !? On croit par contre plus facilement qu'il s'agit de prostitution – puisqu'il y a une rétribution matérielle évidente. Et au vu de la situation, « on peut constituer une contrainte économique et morale », nous dit-on à l'AVFT2. Autrement dit, il s'agirait de viol. « Mais les tribunaux retiennent rarement la contrainte économique comme élément constitutif d'un viol... »

Il y a bien eu, pendant ces années, des personnes au courant des faits – lieux de rencontre, échange de textos avec le fonctionnaire, et jusqu'à l'hypothèse d'un éventuel réseau... Il y aurait même eu une démarche de plainte qui n'a, étrangement, jamais abouti. Faut-il y voir des manœuvres d'intimidation ? De notre côté, on n'exclut pas l'hypothèse ; mais le silence éloquent sur ces faits, pendant toutes ces années, trouve aussi probablement d'autres explications. Principale association rennaise de soutien aux femmes migrantes, l'UAIR3 est largement subventionnée par la préfecture : difficile de dire ce qu'on veut dans ces conditions. Les victimes, quant à elles, craignent sans doute des représailles pouvant aller jusqu'au rapatriement.

Depuis les « lois Sarkozy » de 2003 et 2006, les migrant.e.s arrivant en France rencontrent toujours plus de difficultés ; et les gesticulations de la nouvelle équipe de la préfecture, dirigée par un Claude Fleutiaux jurant par tous les saints qu'il allait remettre de l'ordre là-dedans, ont pour effet principal de compliquer davantage les régularisations... un cocktail explosif qui ne peut que pousser ce genre de situations à se reproduire.

    Alors que faire ?

On voit mal pourquoi l’État ou les élu.e.s s'intéresseraient subitement à ce genre de problèmes, sans doute trop occupé.e.s à protéger la propriété privée ou à « assurer la tranquillité publique » : de l'installation de nouvelles caméras au renforcement des effectifs policiers, en passant par la création d'un « poste de médiateur chien pour faire face aux regroupements de chien »4... ça turbine sec dans les listes municipales !

Il faut chercher le soutien nécessaire auprès des associations : celles de soutien aux personnes migrantes bien sûr, mais fonctionnant avec des structures comme l'AVFT2. « C'est une démarche au cas par cas, où les victimes peuvent être accompagnées » explique cette dernière, avant d'ajouter qu'il s'agit de « dénoncer les faits d'abord de manière indirecte, et anonyme ». Une démarche qui peut aller jusqu'à porter plainte, dans un second temps.

Ed & Maryline

1. Rapport introuvable, bien entendu...

2. Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail

3. Union des Associations Interculturelles de Rennes

4. Authentique proposition de Nathalie Appéré et son équipe.