Gargarismes

Numéro 1 - Sainte Anne

Rendre l'espace public inappropriable

Accoudoir "anti-sieste"


L'espace constituant, d’un point de vue policier, le talon d’Achille des places publiques, une première façon de le protéger consistera simplement à l’occuper préventivement1. L’espace public peut en effet être rendu inutilisable en tant que tel, ou invivable, par effet de saturation :

1° - saturation géographique à proprement parler : il faudra alors trouver, pour chaque parcelle, chaque recoin de l’espace en question, une manière adéquate de le remplir ; 2° - mais aussi saturation dans le temps : on s’assurera alors, pour tout moment de la journée, de la semaine, que l’espace en question ne soit jamais laissé vacant.

Ainsi, place Sainte-Anne, on a pu observer cette double manière d’occuper préventivement l’espace public. Le mobilier urbain (abribus, Vélostars, containers à déchets, bornes, etc.), les échoppes marchandes (bouquinistes, manège, vendeurs de gadgets, etc.), sans compter les terrasses, toujours plus envahissantes, en assurent l’occupation géographique à proprement parler. On regrettera seulement que les bancs ne fassent pas partie de cet arsenal disciplinaire ! Dans le temps, les marchés (le jeudi et le samedi) sont chargés de combler un peu les vides. Et si des indésirables continuent de se rassembler avec leurs chiens sur les rares parcelles négligées par le plan d’occupation (devant l'ancienne boulangerie La Fournée Saint-Michel par exemple), malgré les tentatives d’intimidation policières, il suffira d’augmenter encore la surface de terrasses autorisée !

Bien évidemment, de tels effets peuvent également être obtenus par des moyens directement policiers. Et il n’est pas rare d’ailleurs que ceux-ci viennent prêter main-forte. Ainsi, suite à des échauffourées à répétition entre les fêtards et les forces de l’ordre dans le centre de Rennes, en 2005, un commissariat de police a été installé rue de Penhoët, à proximité immédiate de la place Sainte-Anne, avant la mise en place d’une l’unité territoriale de quartier (UTEQ) dans le centre-ville et l’installation de caméras dites de « vidéo-protection ».

Mais une présence policière trop appuyée peut aussi avoir des effets contre-productifs, en termes symboliques d’abord (mauvaise image pour la ville), mais également sécuritaires (les moyens policiers suscitant parfois les comportements mêmes qu’ils sont censés prévenir). On aura donc tout intérêt à privilégier les moyens invisibles, c’est-à-dire ceux qu’on peut inscrire et dissimuler à même l'épiderme de la ville, pour qu'elle garde un visage présentable – ce qui n'est jamais négligeable, quand des palanqués d'hommes et de femmes d'affaires emprunteront bientôt la ligne B du métro pour venir suivre leurs petits séminaires d'entreprise au futur Centre des congrès d'affaires du Couvent des Jacobins. C’est justement le cas avec la saturation de l’espace par les enseignes marchandes, et avec la prolifération du mobilier urbain, et plus précisément du mobilier urbain « disciplinaire », celui dans lequel est inscrit l’ordre que la police rendait directement visible.

En Mai 68, les étudiants écrivaient sur les murs : « Ne dites plus : urbanisme, dites : police préventive ».

Pierre Machin

1. Une seconde façon de le protéger consistera au contraire à en faire une place totalement vide, cf. la place du général De Gaulle.



Saturation de l'espace urbain (Rennes : place de la République)